L’élément essentiel d’un fonds de commerce est la clientèle. C’est pourquoi, la fixation du montant de l’indemnité d’éviction, qui constitue une somme versée par le bailleur à son locataire commercial en cas de non renouvellement de son bail ou en cas de résiliation du contrat de manière unilatérale par le bailleur, est souvent source de contentieux entre les parties. Cette indemnité vise à réparer le préjudice subi par le locataire en raison de la perte de son droit au renouvellement du bail, et donc la perte éventuelle de la clientèle composant le fonds de commerce.
I. Différenciation entre indemnité de remplacement et de transfert
L’estimation de l’indemnité d’éviction impose de rechercher si le fonds de commerce est appelé à disparaître (on parle alors d’indemnité de remplacement) ou s’il est transférable.
L’indemnité d’éviction peut être fixée à l’amiable entre les parties. Le plus souvent, un expert est désigné avec mission de chiffrer le montant de l’indemnité d’éviction en tenant compte des activités autorisées par le bail et de la situation des locaux dans les deux hypothèses de perte ou de transfert du fonds. En cas de litige, il soumet au tribunal l’ensemble des éléments d’appréciation, la transférabilité étant tranchée par le juge.
La question de la transférabilité est celle de la plus ou moins grande dépendance de l’activité au site. L’expert recherche quelle est la nature de la clientèle. S’il s’agit d’un commerce de détail voué à la clientèle de proximité par exemple, la dépendance à l’achalandage conduira à une indemnité de perte (CA Versailles 3-5-2012 n° 08/08083 concernant une société spécialisée dans la vente de téléphonie multimarque et multiopérateur)
À l’inverse, une activité indépendante du site sera réputée transférable. Il en va ainsi des commerces qui s’adressent à une clientèle géographiquement dispersée ou de ceux qui sont exercés au sein de locaux sans visibilité sur rue. Ce peut être également le cas des commerces à très forte notoriété ou en situation monopolistique : la clientèle est alors considérée comme captive.
En particulier, en cas d’activités d’e-commerce, il conviendra notamment d’analyser si la vente en ligne peut contribuer à stimuler la vente en boutique et ainsi, si une partie de la clientèle est transférable vers un autre point de vente.
II. La fixation du montant de l’indemnité d’éviction lors des négociations entre bailleur et preneur
Le préjudice à indemniser est celui subi du fait de l’éviction.
Partant, son évaluation doit être faite au moment où le préjudice est réalisé, c’est-à- dire à la date la plus proche du jour auquel devient effective l’éviction, soit à la date de l’éviction elle-même, soit du moins à la date où le locataire cesse d’occuper régulièrement les lieux (Cass. com. 30-6-1959 n° 57-10.984).
La loi ne définit pas les méthodes d’évaluation de l’indemnité d’éviction, qu’il s’agisse d’apprécier le fonds de commerce ou le droit au bail. Le juge se trouve ainsi confronté à des données économiques, voire financières, sans outil juridique pour en faire lecture. Il recourt alors quasi systématiquement à un expert judiciaire, mieux armé pour évaluer la valeur du fonds, mais le juge reste souverain dans son appréciation, y compris dans le choix de la méthode d’évaluation et le mode de calcul (e.g. Cass. com. 15-4-1959, n° 1846).
En ce qui concerne l’actualisation de la valeur du fonds, si la valeur des éléments du fonds a marqué une évolution avant que les juges statuent, une réactualisation par majoration forfaitaire ou application d’un coefficient ne doit pas être appliquée comme correctif (Cass. 3e civ. 2-6-1993 n° 995 P : RJDA 8-9/93 n° 681). Il faut donc retenir qu’il n’existe pas de recette universelle pour l’estimation d’un fonds de commerce mais presque autant de méthodes que de branches d’activités.
En outre, la pratique des experts a évolué dans le temps, aujourd’hui il est courant d’évaluer la valeur du fonds en fonction de sa capacité à générer des résultats de manière pérenne. Bien évaluer le montant de l’indemnité d’éviction est essentiel dans les négociations dès la phase d’acquisition d’un bien immobilier, dans la fixation notamment du prix de vente d’un actif.